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Rénover ou développer le réseau ferré : un dilemne inéluctable (Transports - nov-déc 2010 - p. 386-387)

La France est aujourd'hui engagée dans un programme d'investissements dans ses infrastructures ferroviaires sans précédent depuis l'Après-Guerre.

Avec les trois initiatives que sont le Grenelle de l'Environnement, le Schéma National d'infrastructure de Transport (SNIT) et le Plan de Rénovation du Réseau, notre pays a véritablement choisi de donner la priorité au mode ferroviaire.

Des réseaux de tramway aux LGV, en passant par les métros ou les RER, le programme inscrit au SNIT représente ainsi plus de 85 Mds € sur 20 à 30 ans. Par ailleurs, l'État, soucieux d'enrayer le vieillissement de notre réseau ferré, a également décidé d'investir 13 Md € en six ans pour sa rénovation, soit un quasi-triplement annuel par rapport aux 700M € consacrés en 2004.

Le Grenelle de l'Environnement a permis l'émergence de telles décisions. En effet, il a, pour la première fois, clairement affiché une priorité pour les investissements orientés vers le développement durable, notamment, ceux en matière d'infrastructures de transport. Le rééquilibrage voulu entre les modes de transport (la route restant quoi qu'il en soit très largement le mode de transport majoritaire) repose sur un consensus politique et socioculturel indiscutable entre les partis politiques, consensus qui constitue la hase d'une action publique volontariste en faveur des modes de transports alternatifs.

Si la bataille politique semble a priori gagnée, un autre pari reste en suspens: celui du financement de cet ambitieux programme. Au regard de la situation actuelle, des interrogations subsistent sur ce point.

Concernant tout d'abord les financements des projets de LGV prioritaires, les bouclages financiers se sont avérés ou s'avèrent encore problématiques.

Ainsi, le projet de LGV Tours - Bordeaux (7,8Mds € au final) prévu sous forme de concession n'a-t-il pu être financièrement bouclé qu'au prix d'un concours de RFF - initialement non prévu - à hauteur de 1,7Md€, RFF dont la dette atteint aujourd'hui les 30Mds €.

Concernant le projet Le Mans-Rennes (3,4Mds €) qui devrait se réaliser sous la forme d'un PPP celui-ci fait actuellement l'objet d'une procédure de sélection. À ce stade, il est prématuré de dire que la contribution publique sollicitée par le futur « PPPiste »> permettra un bouclage financier définitif du projet.

Il convient d'apprécier l'ampleur des efforts requis à l'aune de ceux déjà mis en rouvre dans le cadre des deux autres grands projets de LGV que sont la LGV Est phase II et la LGV Rhin-Rhône branche Est.

Le premier a mobilisé des contributions supérieures à 2Mds €, dont 38% financés par les Régions et collectivités locales.

Quant à la LGV Rhin-Rhône branche Est, qui est déjà en construction, n'oublions pas quelle a déjà nécessité un effort très important des collectivités locales.

Tout cela conduit à ce qu'il soit demandé à RFF d'investir pour la réalisation des LGV jusqu'à 2Mds € par an jusqu'à l'horizon 2014, alors même que l'effort actuel se situe à 900M € - soit plus qu'un doublement en quatre ans.

Parallèlement à ce chantier sans précédent, un autre chantier majeur est également engagé: celui de la rénovation du réseau.

La publication du Rapport Rivier » de l'École polytechnique ferroviaire de Lausanne en 2005 a conduit dès 2006 le Gouvernement à mettre en ouvre un plan de rénovation focalisé sur l'objectif de stopper le vieillissement du réseau ferré.

En 2004, le nombre de kilomètres de voies rénovées était tombé à 450 - soit seulement 1,5% de l'ensemble du réseau - ce qui conduisait progressivement à la fermeture de 70% de ce même réseau à l'horizon 2020. Il fallait donc consentir un effort considérable pour pouvoir inverser cette tendance.

Si les efforts consentis i ont cessé d'augmenter depuis, il n'en reste pas moins qu'ils n'ont pas été suffisamment dimensionnés pour pouvoir inverser le processus. Les retards se sont ainsi accumulés et, désormais, ce sont pratiquement 1000 km de voie qu'il faudrait dès maintenant pouvoir rénover chaque année au moins pendant dix ans pour inverser la spirale du déclin.

Cela correspondrait à un investissement annuel de 2 à 2,2 Mds €, soit un triplement de l'effort réalisé en 2005.

Force est de constater que même si aujourd'hui RFF investit 1,6Md € pour rénover 800 km de voie, cela est encore intrinsèquement insuffisant.

On pourrait penser que c'est le dimensionnement de l'outil industriel qui est en cause.

En réalité, c'est largement la dimension budgétaire qui prime. Plus précisément, on constate que si le réseau national, en particulier grande vitesse, reste d'une qualité qui va de correcte à très bonne, le cour du réseau (interrégional, régional,...) voit sa qualité se dégrader fortement au fil des années faute de financements appropriés.

Au regard de cette dégradation, il n'est nullement exagéré de dire qu'il manque effectivement de 400 à 600 M€ par an pour pouvoir mettre en œuvre une rénovation de qualité.

La problématique d'une nécessaire montée en puissance de l'effort de rénovation du réseau est d'autant plus essentielle qu'elle conditionne l'évolution de la dynamique TER.

Depuis une dizaine d'années, les Régions n'ont jamais été autant sollicitées pour financer les investissements ferroviaires. Celles-ci se sont non seulement engagées, avec l'expérimentation de 1997, puis la loi SUI de 2002, à financer 100% des nouveaux matériels roulants ou des gares TER, mais elles se sont également mobilisées pour financer une partie significative des projets de LGV Or, désormais, il leur est également demandé de financer une partie croissante de la rénovation du réseau.

Cette problématique revêt aujourd'hui une dimension politique conflictuelle, dans la mesure où, d'une part, il n'y a jamais eu autant de ralentissements du trafic sur le réseau ferré, et d'autre part, la situation financière et budgétaire de la plupart des Régions se détériore (cf, suppression de la taxe professionnelle...).

La situation devient d'autant plus paroxystique pour un certain nombre d'élus régionaux qu'ils avaient décidé de faire du système TER un vecteur politique et d'image pour leur Région. Or, un nombre croissant d'entre eux sont aujourd'hui conduit à s'interroger sur l'opportunité de poursuivre une politique ambitieuse d'investissements en matériel TER faute de résultats à la hauteur des attentes.

Au plan industriel, cette question est d'autant plus cruciale qu'elle concerne - à travers deux commandes majeures (REGI02N, REGIOLIS) - les perspectives d'acquérir globalement jusqu'à 1860 rames et que, sans leur mise en ouvre, les plans de charge des constructeurs français risquent d'accuser déjà une baisse à partir de 2011, et de chuter très fortement à partir de 2016-2017.

On comprend ainsi très bien que la problématique de rénovation du réseau concerne véritablement l'ensemble de la filière ferroviaire française.

Or, sauf à imaginer des ressources budgétaires nouvelles, pour les investissements ferroviaires français, perspective qui, dans le contexte actuel, reste des plus improbables, on en arrive vite à l'idée selon laquelle des choix drastiques vont rapidement devoir être effectués entre nos projets ambitieux en matière de lignes nouvelles et nos impératifs en matière de rénovation.

On ne saurait, de fait, ignorer la réalité de la situation, pas plus que l'on ne peut ignorer la complexité d'un contexte économique et social, peu propice à des gains de productivité significatifs du moins sur le court terme.

En l'absence d'une marge de manoeuvre confortable, les décideurs politiques vont devoir très rapidement se prononcer sur les priorités politiques ferroviaires à court et moyen termes au moment même où l'État s'apprête à soumettre au Parlement - fût-ce dans le cas d'un débat sans vote - le projet du Schéma National d'Infrastructures de Transport et où se met en place le Comité stratégique de la filière ferroviaire. Il devient urgent de mettre en ouvre non seulement une réflexion, mais encore une décision publique sur ce sujet. Rénover ou développer le réseau ferré national, il semble bien que malheureusement à court et moyen terme, le dilemme soit désormais inéluctable