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Pour des trains à l'heure, il manque 40 milliards... (L'Usine Nouvelle - 13/01/2011 - p. 36-37)


La SNCF serait-elle devenue un train fou, sans conducteur? Après une fin d'année cauchemardesque, marquée par des incidents à répétition (annulations et retards de trains, inversions de rames TGV, etc.), un constat s'impose: la qualité de ses services ne cesse de se dégrader. « Il aurait mieux valu renoncer à le faire circuler ce soir-là. » C'est tout ce que la société a trouvé en guise de conclusion à son rapport sur le trajet ubuesque du train Lunéa 4295, parti de Strasbourg (Bas-Rhin) dans la nuit du 26 décembre et arrivé à Port Bou (Pyrénées-Orientales) avec quinze heures de retard au terme d'un périple de vingt-quatre heures ! Loin d'être isolé, un tel incident ne doit pas faire oublier le quotidien difficile des naufragés de certaines lignes, comme Paris-Bâle ou Paris-Caen, pour ne prendre que ces deux exemples de lignes en déshérence. La cause principale de ces dysfonctionnements? Le manque... d'investissements. «L'Usine nouvelle » a chiffré la facture pour remettre les trains en ordre de marche, au bas mot, à 40 milliards d'euros. Soit un montant comparable à la dette cumulée de Réseau ferré de France (RFF) et de la SNCF... Explications d'une facture salée.


RENOUVELER LE MATÉRIEL ROULANT 20 MILLIARDS D'EUROS Le parc a fortement vieilli et il est mal entretenu. RFF impute plus de 70% des retards au matériel et à l'organisation de la SNCF. Plus modérés, la Fédération nationale des associations d'usagers des transports (Fnaut) et les syndicats de salariés de la SNCF parlent d'un retard sur deux dû au matériel défaillant. Même la vitrine TGV commence à se lézarder. Les premières rames ont été mises en service en 1981. Une partie devait être remplacée à partir de 2014. En raison d'un endettement qui dépassera 9 milliards d'euros fin 2011, la SNCF a dû repousser cet investissement estimé à plus de 8 milliards d'euros.

La situation est encore plus dramatique avec les trains Corail qui arrivent pour la plupart en bout de course. Ces «trains d'équilibre du territoire» - leur nouvelle dénomination depuis que l'Etat a accepté de prendre en charge une partie de leur déficit d'exploitation - embarquent 100 000 voyageurs chaque jour. Outre une compensation annuelle de 210 millions d'euros, l'Etat s'est engagé à apporter 300 millions pour la modernisation du matériel. En fait, la facture s'élèverait à 1,4 milliard selon la Fédération des industries ferroviaires (FIF).

Autre point noir : l'Ile-de-France, où 15% des retards sont dus à la vétusté du matériel. Depuis 2006 que la région dirige le Syndicat des transports d'Ile-de-France (Stif), un programme de remplacement et de rénovation des trains a enfin été mis en place. La région et la SNCF paient, chacun, la moitié de la facture: 1,8 milliard pour 172 rames du Transilien. L'option sur 200 rames supplémentaires (2 milliards d'euros minimum) n'a toujours pas été levée. Les autres régions prévoient une dizaine de milliards d'euros pour finir de moderniser les TER.

RAJEUNIR LES INFRASTRUCTURES 20 MILLIARDS D'EUROS

Des rails qui cassent, des ponts qui ne supportent plus des vitesses élevées, des pannes de signalisation... les mauvaises performances de la SNCF sont aussi dues à des infrastructures obsolètes. Le centre d'aiguillage de la gare de Lyon, à Paris, qui doit être renouvelé en 2015, date des années 1930 ! Sur le front des caténaires, une partie des installations datent de la période 1920-1950. Conséquence : le nombre de kilomètres nécessitant de rouler à vitesse très réduite a doublé en cinq ans (1700km).

Ici, c'est à RFF de jouer les investisseurs. Le plan de rénovation du réseau (13 milliards d'euros), présenté par le gouvernement et RFF fin 2008, prévoit 2milliards de travaux par an jusqu'en 2015. L'organisme souhaite le prolonger jusqu'en 2025. Ce plan permet de rénover 800 km de voies par an. Or, il faudrait atteindre 1000 km pour maintenir le réseau en état et sans doute 1 500km pour le rajeunir. «Au lieu de stopper le vieillissement, on ne fait que le ralentir», s'indigne Jean-Pierre Audoux, le délégué général de la FIE Il faudrait consacrer 2 milliards supplémentaires par an pendant au moins dix ans.

Pour le réseau francilien, en plein délabrement, Jean-Pierre Audoux estime qu'«il faut dépenser 1milliard d'euros par an pendant dix ou quinze ans». Pour Jean Sivardière, le président de la Fnaut, «la situation est comparable à celle des années 1960-1970 avant l'arrivée du RER A». Depuis le gouvernement de Michel Rocard (1988-1991), et le lancement de la ligne 14 du métro et de la ligne E du RER, aucun grand projet n'a vu le jour.

REVOIR L'ORGANISATION

Le secrétaire général de l'UN SA Transports, Eric Tourneboeuf, évoque «une balkanisation du système ferroviaire. Il y a plusieurs acteurs et pas de décideurs», en faisant allusion à RFF, aux branches de la SNCF et aux autorités de contrôle. «A la SNCF, il y a une étanchéité entre les branches», précise-t-il. Et c'est là que le bât blesse. Jean Sivardière assure qu'« on ne peut plus emprunter une locomotive du fret pour venir au secours d'un train Corail en panne». Même chose pour les cheminots. Alain Prouvenq, le secrétaire fédéral de la CGT Cheminots indique que s'il «manque un conducteur sur un train grande ligne, on ne peut plus utiliser un agent du fret ou des TER. Ils ne sont plus habilités à le faire». Pour regagner de la souplesse, la CGT propose de conserver « un matériel et un personnel dédié à chaque branche, mais de créer un pool de locomotives et d'agents polyvalents correspondant à 30 % de l'ensemble pour apporter de la souplesse». La seule réaction de Guillaume Pépy, le patron de la SNCF, a, pour l'instant, été d'annoncer un plan d'urgence de plusieurs dizaines de millions d'euros pour les lignes «malades». On est loin du compte...