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« Une dynamique propice à la création d'ETI» (Ville, Rail et Transports - 23/03/2011 - p.54)

Pour le président de la FIF, il faut aider les groupements de PME, afin de constituer des entreprises de taille intermédiaire dans la filière. Certaines entreprises souffrent des pressions sur les prix et du renversement de perspectives des investissements de la SNCF.

Ville, rail & Transports : Le marché ferroviaire mondial est en pleine croissance, les constructeurs présentent de bons résultats, cependant, le tissu industriel français souffre considérablement. Comment expliquer cette disparité?

Louis Nègre : Je serais personnellement beaucoup plus nuancé sur ce point. En effet d'une part, le chiffre d'affaires de l'industrie ferroviaire française, même s'il s'est stabilisé depuis deux ans, a cru de 24 % entre 2006 et 2009, soit au même rythme que le marché mondial.
D'autre part, les situations sont très différentes d'une entreprise à une autre, d'une activité à une autre. Ce que l'on constate effectivement, c'est que dans le contexte d'une concurrence non seulement européenne mais encore mondiale, croissante, un certain nombre d'entreprises sont prises en tenaille entre, d'une part, des pressions contractuelles et des pressions sur les prix de plus en plus fortes de la part de leurs clients et, d'autre part, un marché français qui stagne depuis un an du fait de la crise et du renversement de perspectives des investissements de la SNCF.
Certaines de ces entreprises, pour des raisons liées à leur stratégie ou à leur taille économique et financière insuffisante, connaissent malheureusement de réelles difficultés. Mais ce n'est pas le cas général.

 

Ville, rail & Transports : Pour muscler l'industrie française on veut, dans l'ensemble des filières, créer des ETI (entreprises de taille intermédiaire). Où en est-on de ce processus dans le ferroviaire?

Louis Nègre: Aujourd'hui, la filière réfléchit effectivement aux moyens d'aider efficacement aux regroupements de PME ferroviaires françaises, dans une logique qui soit à la fois tirée par la marché, mais aussi basée sur une complémentarité pouvant être géographique et/ou technique.
Il conviendra bien sûr de veiller à ce que les mécanismes mis en place s'inscrivent pleinement dans la philosophie et le droit communautaires relatifs aux aides accordées aux entreprises. Il est clair que ce sujet est essentiel pour l'avenir de la filière ferroviaire française - cette problématique, comme vous le savez, vaut pour d'autres secteurs. Nous nous devons impérativement d'amorcer cette démarche afin de créer une véritable dynamique propice à la création d'ETI au sein de la filière.

 

Ville, rail & Transports : Les équipementiers disent n'avoir de la visibilité que sur un an, quand les constructeurs ont des programmes sur dix ans. Comment faire pour permettre aux premiers de respirer?

Louis Nègre: Tout dépend de ce que fabrique l'équipementier en question. Par la force des choses, quand un constructeur livre des trains à son client, il est confronté à des cycles pluriannuels liés à la nature même de ses produits. Ses fournisseurs de sous-systèmes ou de composants critiques bénéficient également d'une visibilité pluriannuelle, compte tenu du caractère stratégique de leurs produits, Par contre, les équipementiers fournissant plutôt des produits simples ou standardisés sont souvent confrontés à ce problème de visibilité au-delà d'un an. Conscients de ces difficultés, nous cherchons aujourd'hui, dans le cadre des groupes de travail du comité stratégique de la filière ferroviaire, les types de solutions pratiques qui pourraient permettre d'améliorer la situation actuelle.

 

Ville, rail & Transports :Peut-on espérer maintenir les savoir-faire et l'emploi sur toute la filière, ou bien l'ensemble de la sous-traitance est-il en train de basculer vers l'Europe de l'Est ou l'Extrême-Orient? Le travail du constructeur est-il voué à devenir de l'assemblage?

 

Louis Nègre: Non seulement on peut l'espérer, mais encore devons-nous nous y employer. Je suis convaincu que nombre d'acteurs de la filière prennent aujourd'hui la mesure de tous les avantages (faible coût logistique, forte réactivité des fournisseurs, proximité des partenaires économiques) liés au maintien, voire à la consolidation, d'un tissu industriel régional ou national. Cela ne signifie pas pour autant l'absence de « délocalisation » - ne soyons pas angéliques -, l'accès à un certain nombre de grands marchés et de pays cibles (Chine, Etats-Unis ... ) passe par une nécessaire délocalisation. Par ailleurs, il faut de toute façon s'attendre à une concurrence de plus en plus forte, non seulement sur le marché mondial, mais aussi en Europe, de la part des équipementiers « exotiques ». Comme vous le savez, cette concurrence portera d'abord sur les prix des produits, ce qui, selon moi, conduit d'autant plus à valoriser les politiques d'achats basées sur les cycles de vie des produits et non pas sur le coût d'acquisition immédiat des produits.

S'agissant de la vocation du constructeur à devenir « assembleur " la réalité est sans doute plus complexe. En effet, certains constructeurs souhaitent continuer à contrôler certaines fonctions critiques, à la fois compte tenu de leur volonté de maîtriser la fiabilité de leur produit et aussi parce que cela constitue un atout de garantie de service après-vente à long terme, Il n'est pas encore certain que nous allions jusqu'au bout de la logique que vous évoquez et qui constitue la réalité de filières telles que l'automobile.

Ville, rail & Transports : l'Allemagne apparaît aujourd'hui comme le pays européen qui a su maintenir une forte présence industrielle. Les entreprises françaises peuvent-elles être sauvées par des alliances allemandes?

 

Louis Nègre: La priorité qui doit être la nôtre est clairement celle de la consolidation du tissu industriel ferroviaire français dans le cadre d'une démarche de filière. Si vous me demandez toutefois s'il vaut mieux qu'une entreprise française s'allie pour main¬tenir ses emplois et son savoir-faire à une entreprise allemande ou à une entreprise beaucoup plus « exotique", ma réponse va sans équivoque vers la première option. Comme vous le savez, nous avons au sein de la FIF, et dans la filière industrielle française, un certain nombre de sociétés dont la maison mère est située en Allemagne. Cela ne m'a pas semblé mettre en péril l'avenir de leur activité en France.

Au-delà de ce constat, vous savez que je suis un Européen convaincu, que ma vision relative à l'avenir de notre industrie passe en priorité par des solutions européennes, sachant que dans le ferroviaire le réalisme plaide pour une coopération franco-allemande, et que nous avons à ce jour tout intérêt à nous entendre avec l'Allemagne.

Ville, rail & Transports : Quelle est la situation de la filière ferroviaire quand on la compare aux filières de l'automobile ou de l'aéronautique qui avaient, il y a déjà longtemps, réussi à constituer des équipementiers puissants?

 

Louis Nègre:Automobile et aéronautique avaient été confrontés à la mondialisation bien longtemps avant le ferroviaire, ce qui avait déclenché ces mouvements de concentration tant chez les constructeurs que chez les équipementiers, d'ailleurs. Aujourd'hui la filière ferroviaire connaît la même situation, ce qui va lui offrir la possibilité de tirer les enseignements positifs comme négatifs de la façon dont ces autres industries ont évolué.

Propos recueillis par François DUMONT