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Les équipementiers français : quel avenir en 2011? (Le Rail - 15/03/2011 - p.14 à 19)

Dans une période où l'état des finances publiques laisse mal augurer du niveau des commandes de matériel roulant pour les prochaines années et où les contraintes apportées par l'état du réseau au développement du trafic laissent à désirer, les équipementiers font face à une situation difficile. Leur capacité à appréhender l'avenir dépend pour une bonne partie des stratégies et des informations que leurs donneurs d'ordre, constructeurs comme opérateurs, sont prêts à partager.

Aujourd’hui, la vision à long terme des constructeurs et équi­pementiers est insuffisante. Cela se ressent tant au niveau des états-majors que des unités in­dustrielles régionales, interlocuteurs na­turels de beaucoup des petits acteurs.

A cet éclairage insuffisant s'ajoutent des aléas dans les programmes de fabrica­tion, comme dans le choix au niveau groupe des sites de production, ce qui empêche équipementiers et sous-trai­tants d'avoir une vision à moyen et long termes indispensable pour piloter inno­vations, investissements et embauches pérennes.

Parallèlement, l'intensification constante d'une mise en concurrence internationa­le tant des constructeurs que de leurs fournisseurs, les équipementiers, est de nature à changer la donne. Enfin, dans les contrats à l'exportation des construc­teurs apparaissent maintenant des exi­gences de localisation que seuls des équipementiers de taille importante peu­vent accompagner (tramways en Algérie, rames à grande vitesse au Maroc, loco­motives au Kazakhstan, etc.).

Equipementiers? Vous avez dit équipementiers?

On regroupe sous ce vocable des entre­prises aux typologies très variées, de la grande société spécialisée, servant une ou plusieurs fonctions majeures, à la petite entreprise, parfois familiale dont l'ac­tivité se limite à une clientèle régionale ou à une niche très spécifique. Certains acteurs sont aussi des divisions spéciali­sées de grands groupes dont les débou­chés principaux se situent hors du sec­teur ferroviaire. Enfin, certains construc­teurs réalisent eux-mêmes une partie des équipements qu'ils intègrent, alors que ces matériels sont fournis par des tiers dans d'autres pays. C'est par exemple le cas des transmissions qu'Alstom Trans­port produit au Creusot.

Un recensement initié à l'occasion des Etats Généraux de l'Industrie (EGO a montré qu'au-delà des sociétés dont l'activité unique ou principale est le fer­roviaire, plus d'un millier d'entreprises considèrent que cette industrie repré­sente une partie significative de leurs débouchés. Il est aussi ressorti des EGI que l'histogramme des tailles des ac­teurs français est très décalé vers les pe­tites entreprises, en particulier en com­paraison avec la structure de l'industrie allemande. Ceci constitue sans nul doute une faiblesse réelle du tissu français. Parmi ces équipementiers "français", un bon nombre sont d'ores et déjà filiales d'un groupe étranger. On peut citer comme exemples Freinrail, du groupe al­lemand Knorr-Bremse, Valdunes, du groupe allemand GHH-Valdunes, le sué­dois SKF, le japonais SNR ...

les implantations historiques des sites des constructeurs ont marqué la géogra­phie de la filière. les principales régions concernées sont:

• en premier lieu la région Nord-Pas-de­Calais qui regroupe sur environ 300 sites près de 10000 emplois, autour des trois sites de construction d'Alstom Transport à Petite Forêt, Bombardier Transport à Crespin et AFR à Douai. Elargi à la ré­gion Picardie, le nord de la France ac­cueille le pôle de compétitivité i-Trans, l'Agence de Sécurité Ferroviaire Euro­péenne et l'Etablissement Public de Sé­curité Ferroviaire;

• à une échelle plus modeste en ce qui concerne l'emploi, les régions lle-de­France (environ 300 sites répertoriés dont une partie cependant n'abrite que des sièges sociaux) Rhône-Alpes (environ 250 sites), PACA (environ 70), Midi-Pyré­nées (environ 70), Pays-de-Ia-loire (envi­ron 60), Centre, Alsace et Franche­-Comté (chacun environ 50).

Un maillon essentiel dans la filière

La filière ferroviaire est l'une des 11 filières industrielles mises en place fin 201 a, par le ministre de l'Industrie, à l'issue des EGI.

L'industrie ferroviaire, qui regroupe trois grands secteurs d'activité - installations fixes, matériel roulant et signalisation représente pour les établissements français (hors génie civil) un chiffre d'affaires global de l'ordre de 4 milliards € dont moins du tiers est réalisé à l'exportation. Par comparaison, l'industrie ferroviaire allemande réalise un CA de l'ordre de 10 milliards €, dont une moitié à l'exportation. En ce qui concerne les équipementiers français, le chiffre d'affaires de la profession, à partir là aussi des établissements situés dans l'hexagone, est estimé à 800 M. €, avec une part d'exportation directe inférieure à 20%.

Un des sujets majeurs qui devra être traité dans la filière est celui de la constitution de sociétés ou d'entités de taille plus importante de type grosses PME, ETI ou groupements, seuls :

• à pouvoir réellement conduire des programmes d'innovation jusqu'au stade de la mise sur le marché des produits ou services;

• à même de conforter les constructeurs et intégrateurs, en leur donnant une base solide d'équipementiers et fournisseurs;

• capables de répondre à une tendance lourde de réduction du nombre de sources pour les constructeurs;

• en mesure de conduire des projets à l'exportation, soit en direct, soit par le biais de coopérations ou d'implantations locales lorsque les circonstances l'exi­gent.

Cependant, un marché national relati­vement limité permet rarement la pré­sence de deux équipementiers de taille significative pour une même fonction. Cela va impliquer pour beaucoup de fournisseurs de s'engager dans des al­liances ou des consolidations à l'échelle européenne, voire mondiale. Dans tous les cas, une réponse groupée ponctuel­lement ou structurellement est une voie incontournable.

La filière doit s'adapter

Les schémas historiques industriels sont remis en cause par des mutations insuffi­samment anticipées, insuffisamment ex­plicitées et dont la conduite n'est pas as­surée de façon cohérente dans la durée. Les stratégies de sourcing des construc­teurs ne paraissent pas encore stabilisées, les orientations structurantes prises au ni­veau des directions générales ne se tra­duisant pas toujours de façon homogène au niveau local. Parallèlement, l'accrois­sement des contraintes documentaires et juridiques et l'impact potentiel de leurs conséquences en termes de pénalités et de responsabilités, disqualifient les struc­tures trop petites ou insuffisamment ma­nagées.

Les démarches mises en place par les Constructeurs pour accompagner le dé­veloppement des fournisseurs et leur suivi qualité sont parfois "brouillées" par des pratiques nouvelles comme les offres inversées par Internet ou la ges­tion "pompier" de certaines industriali­sations, sans parler de la volonté de dé­ploiement, plus ou moins effective selon les entreprises et les produits concernés, de solutions d'approvisionnement dans des zones à bas coût. Face à leurs concurrents de pays à bas coûts sala­riaux, les équipementiers européens ont besoin d'être convaincus de la cohéren­ce des contraintes qui leur sont impo­sées en certification qualité, process et environnement, comme en exigences de service.

Les difficultés rencontrées récemment par des équipementiers ou sous-traitants comme Sofanor, Sambre et Meuse, Delos, SAEP, qui ont fait la une des jour­naux, montrent de façon très concrète les difficultés que peuvent rencontrer des entreprises que l'on croyait solidement implantées sur leur marché.

Cette situation des équipementiers est l'un des points sur lequel se penche la commission d'enquête de l'Assemblée Nationale mise en place à l'initiative d'Alain Bocquet, député du Nord.

Un secteur en question, le fret

La conjoncture défavorable liée à la crise économique a intensifié le lourd tasse­ment du fret transporté en France. Ceci s'est répercuté directement sur les constructeurs de wagons dont on connaît les difficultés, et en cascade sur leurs fournisseurs ou sous-traitants. L'effondrement de la demande a entrai né des surcapacités majeures, dans un sec­teur où les experts n'envisagent pas de reprise sensible avant 2013. Ceci pose la question de la volonté et de la capacité de maintenir les acteurs industriels enco­re en place. Dans une dynamique de développement durable où l'Etat a affiché de grandes ambitions pour le fret ferro­viaire au travers de Grenelle 1 et 2 avec un report modal significatif, il est néces­saire que les objectifs soient tenus tant en valeur qu'en délais. Nous ne sem­blons pas en prendre le chemin. On ne peut envisager que la France abandonne son activité industrielle de wagons fret alors que le transport ferré est présenté comme un vecteur de développement moderne.

La nécessaire compétitivité de la filière

Dans tous les cas, il est indispensable de poursuivre et d'accompagner tous les ef­forts déjà entrepris par les équipemen­tiers pour contribuer à la compétitivité de la filière, que ce soit dans les do­maines de la qualité (IRIS ou autre ni­veau adapté suivant les cas), de la per­formance industrielle (Lean manufactu­ring ou équivalent) et de la mise en place d'un système commun d'échange de données et de documents (TICIO ou équivalent). Réduire les délais et coûts de production, améliorer l'efficacité des processus d'innovation et industrialisa­tion sont la seule façon de résister à la mise en concurrence avec des entre­prises étrangères sur le marché domes­tique et d'augmenter la présence sur les marchés extérieurs.

Il est clair que ces actions ne pourront porter leurs fruits que dans une approche collective et transversale, permettant d'optimiser l'ensemble de la filière, ap­proche à laquelle la plus grande partie de la profession est prête à s'associer. Exemple très concret d'un cas où un gi­sement de progrès majeur existe mais ne peut être adressé que par une action conjointe de tous les acteurs, celui de l'industrialisation d'un nouveau matériel roulant: prototype, premiers véhicules, essais et tests. La filière ne capitalise pas assez les expériences et les succès d'autres industries ayant rencontré et sur­monté les mêmes difficultés.

La Charte de la Médiation

Sur la base de constats datant de no­vembre 2008, dans le cadre de la média­tion du crédit aux entreprises, l'Etat a souhaité remédier aux difficultés rencon­trées dans les relations entre les grands donneurs d'ordre et les PME. La réflexion a permis d'aboutir à la signature d'une charte, la Charte de la Médiation du Cré­dit et de la CDAF, l'Association des Acheteurs de France, régissant les rela­tions entre grands donneurs d'ordre et PME.

Le renforcement des bases et de la cohé­sion de la filière passe notamment par la mise en œuvre des engagements définis dans la Charte pour améliorer la relation entre grands clients et fournisseurs au sein de la filière ferroviaire.

La Fédération des Industries Ferroviaires (FIF) qui assure la présidence du Comité de pilotage de la filière ferroviaire, a dé­cidé de promouvoir les principes de la Charte auprès de ses membres et plus largement au sein de l'ensemble de la fi­lière ferroviaire et d'encourager les en­treprises de la filière à y adhérer. A ce titre, la FIF est membre du Comité de pi­lotage de la Charte.

Les donneurs d'ordre de la filière ferro­viaire, signataires de ce document, s'en­gagent à en faire un document de réfé­rence dans leurs contrats d'achats vis-à-­vis des fournisseurs de la filière.

Un premier bilan de la diffusion et de l'application de cette Charte au sein de la filière ferroviaire sera fait mi-2011.

Quelles opportunités?

Dans un marché national de renouvelle­ment du matériel roulant qui va se tasser, sauf en ce qui concerne les transports ur­bains et péri urbains (métros, RER et tram­ways), la rénovation des matériels rou­lants anciens va devenir un enjeu signifi­catif. Ce créneau peut être une réelle op­portunité pour des groupements d'équi­pementiers et de sous-traitants français de proposer une offre globale et mutualisée, pour autant que le contexte juridique et organisationnel ait été éclairci.

Dans un autre domaine, la diversifica­tion, qu'elle soit géographique ou aille vers d'autres branches industrielles, peut être une voie de développement pour certains équipementiers. Mais il faut être conscient qu'elle a un coût et qu'elle suppose des moyens qui ne sont acces­sibles qu'aux entreprises ayant déjà une assise solide.

A contrario, devant le tissu industriel de la filière aujourd'hui largement dimen­sionné, en nombre d'entreprises comme en capacité totale, il semble qu'il n'y ait pas, sauf rares cas particuliers, de réel besoin d'une offre nationale complé­mentaire et que le secteur offre peu de possibilités de reconversion pour des in­dustriels venant d'autres secteurs.