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YA-T-IL UNE LIGNE APRÈS LE TGV? (l'Usine nouvelle -21/04/2011 - p.46 à p.48)

Vache à lait de la SNCF durant trois décennies,  le TGV a perdu de sa rentabilité. La question de son modèle économique se pose à l'heure où certains projets du Grenelle de l'environnement déraillent.

 

La SNCF a lancé les festivités du trentième anniver­saire du TGV dans l'allégresse. Début avril, sur le quai numéro 1 de la gare Montparnasse, à Paris, le PDG, Guillaume Pepy, égrène les motifs d'autosatisfaction : le record de vitesse (574,8 km/h) et les parts de marché en Europe (50%). De l'avis même de ce grand communicant, la réussite du TGV semble pourtant remise en cause. Paris-Arras, Bordeaux-Strasbourg, Lille-Strasbourg ... De plus en plus de lignes sont menacées. Alors que les Français ne se sont jamais autant plaints de la dégradation du transport ferroviaire, Guillaume Pepy feint de ne plus jurer que par les « trains du quotidien», les TER, les RER et autres Tran­siliens. Le TGV (20% du chiffre d'affaires de la SNCF) va­t-il devenir une simple niche d'activité? Peut-être. Selon la SNCF, 30 % des lignes à grande vitesse seraient déficitaires. Véritable rente qui comblait le déficit des autres branches, le TGV a longtemps dégagé des marges de 22 à 23 %. Ce n'est plus le cas aujourd’hui. Elles auraient été divisées par deux en 2010 (le seuil de rentabilité étant à 15 %).

L'origine de cette érosion? Les péages acquittés à Réseau ferré de France (RFF), le gestionnaire des infrastructures. Leur augmentation a rogné la rentabilité du train vedette. La SNCF a dû débourser, en 2010, 1,5 milliard d'euros de droits pour sa grande vitesse. C'est un peu moins de la moitié de ce qu'il verse à RIT chaque année. Et, en 2011, il devra décaisser 200 millions d'euros supplémentaires pour avoir le droit de faire rouler ses TGV. Ce qui représente un coût de 11 euros par kilomètre. Pour 2012, l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (Araf) a limité la hausse à 1,5 % sur les sillons du TGV. Pour la suite, l'inflation semble inéluctable.

Tous les élus locaux, ou presque, rêvent d'offrir la grande vitesse à leurs administrés. Le chantier de la deuxième phase du TGV Est, entre Baudricourt et Strasbourg, est lancé. La LGV Bretagne-Pays de la Loire, entre Le Mans et Rennes, sur les rails malgré une facture de 3,4 milliards d'euros, réglée en partie par les collectivités territoriales. RFF vient de confirmer l'attribution du contrat de partenariat public­-privé au groupe Eiffage. Pour la LGV Nîmes-Montpellier, on devrait connaître en fin d'année le nom de l'entreprise de BTP retenue pour la réalisation du chantier. Et la première phase de la ligne Rhin-Rhône, entre Dijon et Mulhouse, sera mise en service à la fin de l'année.

Les branches sud (estimée à 3,5 milliards d'euros) et ouest (2,3 milliards d'euros) sont en revanche en panne, faute de financement. Quid de Poitiers-Limoges (2 milliards d'euros), Montpellier-Perpignan (6 milliards d'euros), Lyon-Turin (12 milliards d'euros) ou encore Marseille-Nice (15 milliards d'euros)? Faut-il privilégier l'aménagement du territoire, au détriment de la rentabilité? La réponse de Jean-Pierre Audoux, le délégué général de la Fédération des industries ferroviaires (FIF), cingle: «Il est préférable de réaliser quatre ou cinq projets en dix ans, selon leur rentabilité économique, plutôt que de se focaliser sur les 18 projets du Grenelle de l'Environnement, qui ne seront de toute façon jamais menés à bien.» Un kilomètre de ligne LGV coûte quand même la bagatelle de 10 à 15 millions d'euros, selon une étude de la revue « Transports ».

Des substituts rapides aux Corail ?

Les nouveaux projets sont d'autant plus menacés que le coût des nouvelles lignes ne cesse d'enfler. La ligne Sud-­Europe-Aquitaine, entre Tours et Bordeaux, a été chiffrée à 7,8 milliards d'euros. Alors que son financement semblait enfin bouclé, le groupe Vinci, chargé du chantier et de l'exploitation pendant cinquante ans, réclame maintenant 60 millions d'euros supplémentaires à RFF pour compenser les hausses de prix des matières premières.

Au regard des moyens, les 2000 kilomètres de lignes à grande vitesse programmées à l'horizon 2020 dans le cadre du Grenelle, paraissent donc démesurés. Ils représentent 70 à 80 milliards d'euros d'investissements. «C'est du pousse-au-crime! La priorité c'est l'entretien du réseau existant qui se dégrade, notamment sur les lignes à grande vitesse », lance, excédé, un cadre de la SNCF. Plutôt que de construire des lignes nouvelles, il serait plus intéressant d'aménager les existantes pour y faire circuler des trains entre 200 et 250 km/h. Certes, il faudra rectifier certaines courbes, renforcer la signalisation, augmenter la puissance électrique des caténaires et supprimer les passages à niveau ... Mais le coût de cette mise à niveau serait sept à dix fois inférieur à celui d'une ligne nouvelle à grande vitesse.

Le député-maire (PS) de Caen, Philippe Duron, milite pour cette solution qui mettrait sa ville à moins d'une heure et demie de Paris. «Avec la création de nouvelles gares à Rouen et à la Défense et une nouvelle ligne en Ile-de-France dans la région de Mantes, on est déjà à 9 milliards d'euros», constate-t-il Cela resterait beaucoup moins cher que pour un train circulant à plus de 300 km/h: 15 milliards d'euros!

Ce choix permettrait de réaliser plus sûrement et plus rapidement les lignes entre Bordeaux et l'Espagne et, sur­tout, entre Bordeaux et Toulouse. A la SNCF, le débat n'a pas encore été tranché. Pour l'instant, aucun appel d'offres pour des trains circulant entre 200 et 250 km/h n'a été émis. Philippe Mellier, le président d'Alstom Transport, principal fournisseur de la SNCF, se dit toutefois persuadé qu'il «y aura une demande pour rouler à grande vitesse sur des voies existantes reconditionnées. » Plus de 400 trains pendulaires Pendolino d'Alstom circulent dans le monde. Aucun en France, où des concurrents du Pendolino proposés par Bombardier, Hitachi et Siemens pourraient accélérer les liaisons aujourd'hui assurées par des trains Corail souvent à bout de souffle ...

Des TER en bout de ligne?

L'autre option, prônée notamment par David Azéma, le directeur financier de la SNCF, prévoit une limitation des dessertes des TGV sur les principaux axes. En bout de ligne, les voyageurs devraient emprunter des TER. Il y aurait alors une centaine de trains en trop pour un parc de 540 rames. La SNCF pourrait de la sorte limiter ses achats de TGV neufs. Elle envisage d'ailleurs de rénover, encore une fois, certaines rames anciennes pour porter leur durée de vie jusqu'à quarante-deux ans.

Ironiquement, le seul projet nouveau qui semble faire l'una­nimité ne faisait pas partie du Grenelle. Le Paris-Orléans­-Clermont-Ferrand-Lyon est la seule ligne TGV qui réunisse toutes les conditions pour être réalisée: désenclavement d'une grande ville, dédoublement de la ligne Paris-Lyon et rentabilité économique ...