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De la nécessité de renforcer la filière des équipementiers (Transport Public – Octobre 2013 p. 20 à p. 23) :

Les équipementiers partagent avec les constructeurs les mêmes préoccupations quant à la solidité de leur plan de charge. Ils sont pourtant moins dépendants du marché national, un tiers de leur chiffre d'affaires étant réalisé à l'export.


Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la raréfaction des commandes de matériel inquiète les équipementiers. Les trente-cinq entreprises réunies au sein du Groupement des équipementiers ferroviaires (4000 salariés, 546 millions de chiffre d'affaires en 2012) confirment l'amorce d'une baisse tout en estimant que leur volume d'activité sera correct en 2013. Comme l'explique Eric Tassilly, président du Groupe­ment des équipementiers ferroviaires au sein de la Fédération des industries fer­roviaires (FIF), «nous livrons plus que ce que nous enregistrons comme commandes. Ce phénomène a effectivement débuté en début d'année. C'est surtout l'absence de très gros projets qui est pénalisante. Si rien ne se passe d'ici là, nous devrons faire face à un effondrement de la charge à partir de fin 2015». Terminé donc l'âge d'or qui avait prévalu en 2008- 2009 lorsque les matériels régionaux sortaient à flux continu.

 Partir groupé à l'export

Pour autant et en dépit de l'émergence des pays à bas coûts de main d'œuvre, le savoir-faire à la française est toujours reconnu au plan international. Cela se traduit dans les chiffres puisque 34% du chiffre d'affaires réalisé par les équipementiers français l'est à l'export. Mais la taille des sociétés pose problème. En dehors des dix premières, toutes les autres sont des PME qui manquent incontestablement de moyens pour rivaliser avec leurs concurrentes sur les marchés internationaux. L'exemple à suivre se trouve pourtant aux portes de la France et plus précisément en Allemagne où les entreprises de taille intermédiaire (ETI) possèdent justement la taille requise pour accompagner leurs donneurs d'ordres. En outre, elles n'avancent pas en ordre dispersé.

 Puisque les regroupements de PME ne se décrètent pas, «la FIF préconise de créer des ETI et de les intégrer dans des clusters. Il faut également que les grands constructeurs et les grands équipementiers jouent le rôle de locomotive lorsqu'il s'agit de conquérir des marchés à l'export et ça, c'est le rôle de Fer de France créé en mai 2012. Cet organisme de promotion de la filière ferroviaire a pour objectif de fédérer les énergies en rassemblant à la fois des constructeurs, exploitants » explique Eric Tassilly. Unie et soudée sur des projets export très importants comme le récent dossier des trains à grande vitesse au Brésil, la maison France ne l'est pas autant sur ses bases. Le premier président de Fer de France, Patrick Kron, également président d'Alstom, a quitté l'organisme après moins d'un an à sa tête. Il vient tout juste d'être remplacé par Pierre Mongin, président de la RATP.

Des propositions pour structurer la filière

Au-delà de Fer de France qui ne couvre qu'un pan de la problématique de compétitivité des entreprises françaises, le plan stratégique «Ambition 2020» défini par la FlF entend apporter des pistes de progrès quant à la structuration de la filière, «le statu quo n'étant plus possible», pour le représentant de la FlF. Plusieurs recommandations sont donc émises pour améliorer de façon significative la pérennité du tissu de fournisseurs et de sous-traitants intervenant dans la filière. Parmi les mesures envisagées figurent, bien évidemment, le renforcement des entreprises par la taille et les fonds propres de telle sorte que puissent émerger de nouvelles ETI ou grosses PMI mieux positionnées à l'international. Il faut également parvenir à une simplification radicale de l'accès aux aides et supports publics aux PMI et TPI par la mise en place de «guichets uniques». Ainsi, seraient coordonnées en particulier les actions des CCIR (Chambres de commerce et d'industries régionales), d'OSEO, d'Ubifrance et de la Coface. Les procédures de préfinancement et d'assurance prospection demeurent, par ailleurs, lourdes et demandent un suivi dissuasif pour les PME. Elles doivent être allégées. En prenant exemple là encore sur l'Allemagne qui, décidément semble être l'exemple à suivre en Europe, le groupe de travail recommande une avancée législative pour rendre obligatoire le retour d'expérience entre les parties concernées sur toutes les questions liées à la sécurité des transports ferroviaires. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que les experts de la FIF appellent de leurs vœux la relance de la coopération entre l'Allemagne et la France, ces deux pays devant rester, à terme, dans le peloton des quatre premiers pays producteurs d'équipements ferroviaires. Cette proximité, ajoutée au fait que les entreprises de la filière ferroviaire française sont pour bon nombre aussi installées outre-Rhin, milite pour le développement de relations pérennes entre les filières de ces deux pays mais aussi entre les pouvoirs publics et entre les centres et organismes de recherche.

Enfin et parmi d'autres nombreuses recommandations, le renforcement de la filière ferroviaire passe également par l'application pratique, dans l'ensemble des organisations, de la «Charte de bonnes pratiques entre grands donneurs d'ordres et fournisseurs», signée entre les principaux acteurs de la filière fin 2010. En effet, ses acteurs doivent, dans l'intérêt de l'ensemble de la filière, se prémunir contre des pratiques commerciales inspirées de l'automobile, voire de la grande distribution, qui, si elles peuvent apporter des gains aux constructeurs à court terme, pourraient s'avérer désastreuses à moyen ou long terme en affaiblissant de façon irréversible les fournis­seurs clefs.

Déjà, le comité de pilotage «Ambition 2020» a repris à son compte un certain nombre de grands chantiers déjà lancés comme la mise en place d'associations régionales, de clusters facilitant un début de structuration (AIF, Néopolia, Midi-Pyrénées, etc.) et la concrétisation d'un mastère ferroviaire. Et quoi de mieux que de lancer un grand programme d'investissement pour l'acquisition de matériel roulant pour aider l'industrie ferroviaire française et ses équipementiers à passer le cap difficile de la fin de l'année 2015. C'est dans cette optique qu'ont été récemment dévoilées de nouvelles commandes (TGV, automotrices Intercités, wagons pour les autoroutes ferroviaires), lesquelles conforteront le tissu industriel existant avant que les recommandations précitées ne prennent toute leur mesure.

Une proximité de plus en plus étroite avec les donneurs d'ordres

Les constructeurs ont bien compris tous les avantages pouvant résulter de liens renforcés avec les équipementiers/sous-traitants, lesquels représentent entre 65 et 70% du coût d'un matériel. C'est la raison pour laquelle les partenariats mis en place deviennent de plus en plus étroits. Des constructeurs comme Alstom et Bombardier souhaitent, en effet, les faire évoluer au rang de concepteurs intégrateurs et les amener, in fine, à devenir des ET!. Une évolution confirmée par Didier Vreux, directeur des Achats de Bombardier France : «Nous sommes à la recherche de fournisseurs capables de nous livrer des équipements prêts à être intégrés sur nos véhicules sur les chaines de production. Ce mouvement, amorcé il y a cinq ans, est à présent bien stabilisé pour les fournisseurs de rang 1 livrant des sous-ensembles complets et a débuté, voici un an environ, pour ceux de rang 2. Nous pourrons aller plus loin dans la démarche à l'avenir en demandant à ces mêmes équipementiers d'intervenir dès les phases de conception de ces mêmes sous-ensembles».

Barat figure parmi ces partenaires pour Bombardier. Fournisseur des plafonds et de l'éclairage pour les programmes Francilien et Regio 2N, cet équipementier est implanté à proximité immédiate des chaînes de Crespin (Nord). Son apport a été déterminant lorsqu'il s'est agi de reprendre la société Sofanor en décembre 2010. Un temps menacée de paralysie, la chaîne des Francilien a pu être réapprovisionnée dès la mi-janvier 2011, les retards de livraison ayant été rattrapés en l'espace de six mois seulement. «De par sa réactivité, c'est le modèle de société avec lequel nous aimons travailler», souligne encore Didier Vreux. Mais pas seulement puisque Barat est aussi en capacité de proposer des réductions de coûts à son donneur d'ordres sur une base annuelle, répondant ainsi, en cela, à une pression sur les prix. «Nous travaillons, en effet, de concert avec le constructeur sur ce point. A titre d'exemple, nous sommes parvenus à une réduction de coûts de 15% sur les équipements que nous lui fournissons dans le cadre du programme Francilien», indique Christian Provost, PDG du groupe Barat. «Toujours en accord avec le constructeur qui pointe là le risque d'une dépendance à un seul client, nous faisons en sorte de diversifier le panel de nos donneurs d'ordres de telle façon qu'un seul d'entre eux ne représente pas plus de 30% de l'activité d'un de nos sites de production».

Convaincus que la filière est encore récente et qu'il lui faudra encore une vingtaine d'années pour se structurer, les équipementiers entendent d'ici là répondre aux attentes des constructeurs. Parmi celles-ci, et on peut s'en étonner tant le «juste-à-temps» semble prévaloir comme dans d'autres industries comme l'automobile et l'aéronautique, figure le respect des délais de livraison. Certains fournisseurs n'ont pas encore totalement assimilé cette notion alors même que certaines usines sortent jusqu'à deux caisses par jour. Les dégâts financiers et organisationnels peuvent donc rapidement devenir considérables. Le respect des requis contractuels constitue également une attente forte des constructeurs. Les fournisseurs doivent donc, en d'autres termes, intégrer la fiabilité des composants dès leur conception.